Herrmann réinvente Federer


Littérature / samedi, mars 31st, 2018

Comment Federer est devenu « notre » Rodger

  • Herrmann est un dessinateur de presse originaire de La Chaux-de-Fonds, dans le canton de Neuchâtel.
  • Il travaille à la Tribune de Genève depuis plus de 20 ans.
  • Après trois ans de travail, il a publié sa bande desssinée Rodger, l’enfance de l’art.
  • Il raconte la jeunesse imaginaire du tennisman Roger Federer.
  • « Je suis super content du résultat, dit Herrmann. La bande dessinée a beaucoup de rythme et de mouvement ».

Herrmann : « J’ai « mythologisé » et démythifié Federer »

Genevois d’adoption, originaire de La Chaux-de-Fonds, dans le canton de Neuchâtel, le dessinateur Gérald Herrmann, dit « Herrmann », a fait paraître cette année Rodger, l’enfance de l’art, une bande-dessinée qu’il a scénarisée. Parce que l’histoire qu’il propose, avec le dessinateur Vincent, est tellement inattendue, une interview de l’editorial cartoonist de la Tribune de Genève s’imposait.

GLP : Depuis quand avez-vous le projet de parler de la jeunesse de Roger Federer ?
Herrmmann :  C’est un projet qui a mûri il y a trois ans, à un moment où Roger Federer déclinait et qu’il ne parvenait plus à nous offrir notre Noël quotidien [NDLR: En 2016, Federer ne jouera même qu’une seule finale]. Je voulais prolonger le bonheur à ma façon. Au départ, j’envisageais de faire un livre sur toute sa vie, mais je me suis rendu compte que cela ouvrait beaucoup de questions. Après avoir écrit 30 pages, j’ai décidé de circonscrire l’histoire à sa jeunesse. Et ça m’intéressait particulièrement d’évoquer les enfants sportifs, pour avoir moi-même joué à un haut-niveau en volley-ball quand j’étais plus jeune, et maintenant pour avoir des enfants également doués dans leurs sports.

GLP : Vous dessinez pour la Tribune de Genève. Pourquoi ne pas avoir fait le dessin pour votre Rodger ?
H. : L’écriture du scénario m’a demandé deux ans. Je n’avais pas envie de dessiner l’histoire, car je trouve que je n’ai pas un trait assez dynamique. J’étais donc très intéressé par le trait de mon collègue Vincent, qui a près de vingt ans de moins que moi et qui a fait une vraie école de bande dessinée (NDLR : l’école Emile Cohl de Lyon), contrairement à moi qui ai appris en autodidacte. Au final, je suis très content, la bande dessinée a beaucoup de rythme et de mouvement. Pour un livre sur un sportif, c’est ce qu’il fallait!

GLP : Votre bande dessinée s’attarde sur les parents et l’initiation de « Rodger » au tennis.
H. : Il existe une tentation totalitaire pour les parents de sportifs. Ce sont des tyrans potentiels, on le voit en particulier dans le tennis avec les pères d’Andre Agassi et de Steffi Graf, la mère d’Andy Murray, voire l’oncle de Rafael Nadal… Ce sont des gens qui ont décidé que leur enfant serait le champion qu’ils n’ont pas été. Melanie Molitor, la mère de Martina Hingis, était numéro deux ou trois tchécoslovaque du temps de Martina Navratilova. Or la fédération misait tout sur cette dernière. C’est donc pour se venger et rattraper sa carrière ratée qu’elle a eu sa fille. J’avais envie d’illustrer cette phrase splendide de Jean-Paul Sartre, une phrase que j’aime beaucoup : « un enfant, ce monstre que les adultes fabriquent avec leurs regrets ». Avec ceux de Federer, j’avais envie de me moquer de cette frustration de parent. Cet homme est une chance, il permet à tout le monde de se refaire. Ses entraineurs voyaient en lui l’occasion de faire ce qu’ils n’avaient pas réussi.

GLP : À lire votre livre, on comprend que Federer est le Messie que les Suisses n’osaient pas attendre.
H. : Ma bande dessinée est une sorte de roman sur les fantasmes. Je ne peux pas m’empêcher d’admirer Roger Federer. Il faut voir comment les médias rivalisent d’adjectifs élogieux pour désigner « Mister Perfect » : il est immortel, divin, parfait… Cela pose une question nietzschéenne : « qui est parfait, est-ce Dieu ou bien Federer ? qui est immortel ? » Il y a toute une mythologie avec cet homme-là, forgée avec nos névroses de Suisses. Nous avions besoin d’un être parfait. Nous étions sevrés de grands champions qui font rêver tout le monde, comme peuvent en avoir les Américains ou les Allemands. Il y a autour de Federer une adoration folle – je suis le premier à en être zinzin ! Quand il joue contre Nadal, je ne peux pas regarder. C’est même quelqu’un qui doit me dire le score, après.

GLP : Avec Rodger, avez-vous le sentiment de déconstruire le mythe ou plutôt de le renforcer ?
H. : Federer, c’est un peu le fils d’Obélix : son père tombe dans une cuve de drogues expérimentales destinées à l’armée suisse ; c’est le roi Arthur et à la fois Jésus, qui survit à la mort… En Suisse, on n’aime pas les têtes qui dépassent, alors je me suis amusé à imaginer le Conseil fédéral chercher à le trucider, comme le roi Hérode, avec le massacre des innocents. Je me suis amusé à la « mythologiser » et le démythifier.
Nous lui souhaitons tous le meilleur, c’est pour ça que j’ai pris beaucoup de libertés avec la réalité et que j’ai imaginé une liaison avec Martina Hingis. Qui d’autre qu’elle, une numéro un mondiale, pouvait le déflorer et le contaminer sexuellement. J’ai envoyé un exemplaire à Roger Federer… Il est connu pour avoir de l’humour, j’espère que notre BD lui plaira.

Propos recueillis par Benjamin Philippe

NDLR : Note de la Rédaction

Références

Rodger, l’enfance de l’art, Herrmann et Vincent, éditions Herrmine, 80 pages
Herrmann dans la Tribune de Genève