À la Fusterie, Konrad Witz déplié par Jean Stern (mais pas que)
- Le temple de la Fusterie arbore sur sa façade un photomontage grand format du plasticien Jean Stern, en collaboration avec le pasteur Jean-Michel Perret et la directrice adjointe des Archives d’État de Genève, Anouk Dunant Gonzenbach.
- Intitulée « Déplié », l’œuvre met en miroir le retable de Konrad Witz, La Pêche miraculeuse, avec 3 scènes contemporaines.
- Le photomontage restera jusqu’à la fin des travaux de restauration du temple, prévus pour 2027.
- Les palissades entourant le chantier présentent 15 panneaux explicatifs (passionnants).
- Dans le prolongement de l’installation de Jean Stern, Anouk Dunant Gonzenbach revient sur l’histoire mouvementée de l’oeuvre originelle de Konrad Witz dans un texte personnel, Un tableau mais pas que (éd. Slatkine).
Clins d’yeux et coups de maître à la Fusterie
Les étals des marchands installés sur « sa » place ont tendance à l’éclipser. Le temple de la Fusterie est une façade, un peu curieuse, plutôt qu’un point de convergence. Le lieu en souffrirait en silence. Qu’en sait-on, au fond? L’Eglise protestante de Genève, elle, sait tout ce qu’elle lui doit. Le « Temple neuf », de son nom officiel, a été érigé il y a plus de 300 ans, spécialement pour le culte réformé. Or, le temps faisant son travail – de sape -, le bel édifice était menacé. Des travaux sont conduits actuellement par la Fondation pour la conservation des temples genevois construits avant 1907. Ils ont pour mission de sauvegarder cette réplique du premier temple protestant aux abords de Paris (à Charenton), rasé après la révocation de l’édit de Nantes (1685). On y verrait un clin d’œil à la fois à l’histoire et au Texte – Jésus aurait pu relever le temple en 3 jours. Il nous faudra patienter 3 ans.
D’ici 2027, les fondations du temple de la Fusterie seront consolidées et son sous-sol, agrandi. Avant d’en voir la beauté intérieure, accessible à toutes et toutes (oui, Monsieur!), les passants et passantes peuvent s’arrêter devant le photomontage géant (5m x 12m) de l’ancien professeur à la Haute école d’art et de design (HEAD), l’artiste Jean Stern. Ce travail découpe la célèbre peinture de Konrad Witz, la Pêche miraculeuse, pour y insérer finement 3 scènes d’aujourd’hui, comme ce qu’avait fait Jean Stern aux Bains des Pâquis en 2015, tout en lui conférant une dimension nouvelle. Entre l’initiative, réalisée par la « Fondation 1907 », la réactualisation du chef-d’œuvre de Konrad Witz et l’installation en accordéon de Jean Stern, la place de la Fusterie prend un coup de fouet. Et le temple, de reprendre des couleurs tout en revendiquant sa fonction.
Un tableau de Konrad Witz sauvé des eaux
C’est une idée puissante de l’Eglise protestante de Genève et de la Fondation 1907, que de faire s’interroger sur le sens de cette image religieuse, la présence de Jésus dans la Cité, voire l’espace qu’on lui donne. Il y a cependant de quoi interpeller, éventuellement de déplaire, avec ce baptême dans un lac Léman profane, un « étranger », a priori, et ces deux femmes allant vers le large comme pour marcher sur les flots. L’hiver dernier, la Madone au paresseux, du graphiste genevois Cédric Marendaz aura fait bien des vagues sur la Rade. « Déplié » n’a pas fait tant de bruit, et c’est tant mieux.
Quand l’on pense que le tableau de Konrad Witz a été réalisé 100 ans avant la Réforme (quasiment) et qu’il est encore visible au Musée d’art et d’histoire, c’est un vrai miracle. Il faut lire son rocambolesque parcours à travers le temps, dans l’ouvrage Un tableau mais pas que, d’Anouk Dunant Gonzenbach (éd. Slatkine), pour en être convaincu-e. À l’heure où toute photo de célébrité a un potentiel « iconique », la Pêche miraculeuse du peintre mort à Bâle l’est incontestablement [iconique]. C’était du reste à ce titre que les iconoclastes du XVIe siècle l’avaient sorti de la cathédrale Saint-Pierre. Moi qui l’avais fait présenter à la Maison de la Pêche, au Port noir, pour son inauguration en 2022, je ne peux qu’applaudir son exposition, à tous les regards, à la Fusterie, plus près du cœur de la cité.
+ d’infos
Un tableau mais pas que
La Pêche miraculeuse de Konrad Witz
Anouk Dunant Gonzenbach
éditions Slatkine, 92 pages ‑ 15 x 22 cm
Sur et autour de Konrad Witz:
La pêche miraculeuse de Konrad Witz
Robert Mougenel
éditions Notari, 240 pages – 23,6 x 17 cm
La pêche mystérieuse
Un roman historique d’Anne Noschis
éditions Slatkine, 270 pages – 14 x 21 cm